samedi 3 mars 2012

La prégabaline : une molécule bonne à tout faire ?

Les douleurs neuropathiques, qui sont la conséquence directe d’une lésion ou d’une maladie du système somato-sensoriel, ont des conséquences importantes sur la qualité de vie des patients qui en souffrent [1] et sont particulièrement difficiles à prendre en charge. Parmi l’arsenal thérapeutique du clinicien, la prégabaline (LYRICA®) est certainement la molécule qui a été la plus étudiée : elle est indiquée le traitement des crises épileptiques partielles avec ou sans généralisation secondaire, du trouble anxieux généralisé et des douleurs neuropathiques périphériques et centrales chez l'adulte. Autant dire un éventail assez large de situations cliniques…




Pour autant, le recours à la prégabaline dans le traitement de la douleur chronique ne se limite manifestement pas aux douleurs neuropathiques. Durant l’année 2011, j’ai réalisé une étude observationnelle chez 60 patients qui m’étaient adressés en consultation et qui utilisaient cette molécule (âge moyen de 53 ans, dose moyenne de prégabaline de 232 milligrammes par jour). Seuls 31 d’entre eux (soit 52%) présentaient des douleurs neuropathiques.

Dix-sept des 60 patients présentaient des douleurs rachidiennes : 15 d’entre eux (88%) ne bénéficiaient d’aucun soulagement, les 2 restants exprimant un soulagement partiel. Pourquoi une telle prescription ? L’idée que la lombalgie puisse être, dans certaines conditions, d’origine neuropathique commence manifestement à faire son chemin, malgré l’absence d’explication rationnelle sur le plan anatomique. D’après une étude française, le questionnaire DN4 (questionnaire de dépistage des douleurs neuropathiques) serait positif chez une minorité de patients présentant des lombalgies pures, sans irradiation [2]. La spécificité du questionnaire DN4 étant de 92%, ne s’agit-il pas, tout simplement, de faux-positifs ?

Huit des 60 patients de cette étude présentaient une fibromyalgie (douleurs diffuses), dont la physiopathologie reste encore bien obscure, mais pour laquelle la prégabaline a pu démontrer [3] un soulagement partiel (30%) chez une minorité de patients (32%). Pour cette raison, la « Food and Drug Administration » américaine a intégré la prégabaline à la liste des molécules potentiellement utiles. Faute de mieux ? En pratique, 7 des 8 patients (88%) de mon étude observationnelle ne bénéficiaient d’aucun soulagement.

Globalement, dans l’étude que je présente ici, la prégabaline apporte au mieux un soulagement partiel à 1 patient sur 8 lorsqu’elle est prescrite en dehors de son indication. Prescrite dans le cadre des douleurs neuropathiques, elle apporte un bénéfice à presque 1 patient sur 2. Ces résultats parlent d’eux-même…

1. Attal N, Lantéri-Minet M, Laurent B, Fermanian J, Bouhassira D. The specific disease burden of neuropathic pain: Results of a French nationwide survey. Pain 2011;152:2836-43. (étude financée par PFIZER, 4 auteurs ont reçu des honoraires de PFIZER*)
2. Attal N, Perrot S, Fermanian J, Bouhassira D. The Neuropathic Components of Chronic Low Back Pain: A Prospective Multicenter Study Using the DN4 Questionnaire. The Journal of Pain 2011;12:1080-7. (3 auteurs ont reçu des honoraires de PFIZER*)
3. Crofford LJ, Mease PJ, Simpson SL, Young JP, Martin SA, Haig GM, Sharma U. Fibromyalgia relapse evaluation and efficacy for durability of meaningful relief (FREEDOM): A 6-month, double-blind, placebo-controlled trial with pregabalin. Pain 2008;136:419-31. (étude financée par PFIZER, 2 auteurs sont des consultants rémunérés par PFIZER, 5 auteurs sont des employés de PFIZER*)

* données recueillies au sein des articles publiés ; les laboratoires PFIZER commercialisent la prégabaline (LYRICA®).