samedi 23 février 2013

Les nouvelles technologies au service du traitement de la fibromyalgie ?

La prise en charge du syndrome fibromyalgique est à l’image du syndrome lui-même : complexe. Dans l’idéal, elle nécessiterait l’intervention d’une équipe pluridisciplinaire, pouvant développer des stratégies variées : médicamenteuses, physiques, cognitives et comportementales. Dans la vraie vie, peu d’équipes de ce type existent réellement : tel est le constat posé par les auteurs américains de cet intéressant article, publié dans le « Journal of Pain Research ».

Parmi les alternatives possibles, les auteurs citent le recours à la médecine de proximité, à condition de pouvoir suivre régulièrement ces patients (la complexité demande du temps) et de développer des partenariats locaux avec des soignants proposant des approches non médicamenteuses… En effet, si les soignants sont souvent à l’aise avec l’approche biomédicale, ils le sont souvent beaucoup moins lorsqu’il s’agit de proposer des approches non médicamenteuses, même lorsqu’elles sont recommandées du fait d’un bon niveau de preuve d’efficacité. Pourtant, le traitement médicamenteux de la fibromyalgie reste bien souvent décevant…

Autre question essentielle abordée dans cet article : les attentes des patients et des soignants vis-à-vis des traitements. Implicitement, l’objectif commun est souvent de faire disparaître totalement et définitivement la douleur : mais est-ce bien raisonnable ? Manifestement non, puisque l’immense majorité des patients porteurs d’un syndrome fibromyalgique ne guérissent pas. Pour cette raison, de nombreuses approches thérapeutiques ont pour objectif d’aider les patients à « vivre avec la douleur » (voir article de mon blog). C’est notamment le cas des thérapies cognitives et comportementales (TCC), qui peuvent être individuelles ou groupales (voir article de mon blog). Malheureusement, là encore, le nombre de professionnels formés reste insuffisant, en partie du fait de l’hégémonie (l’exception ?) française d’autres courants de pensées psychologiques.

Les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) peuvent-elles contribuer à combler certaines insuffisances ? Probablement, puisqu’elles accompagnent les patients dans leur vie de tout les jours, ce qui facilite l’adhésion. Encore faut-il développer des programmes spécifiques (l’information contenue sur internet est trop disparate), permettant l’acquisition de connaissances, l’apprentissage de stratégies adaptées à chaque situation individuelle et la possibilité de rester en interaction avec les soignants, ces patients étant souvent isolés.



Les auteurs de cet article décrivent 3 modules développés grâce aux NTIC : ils comprennent tous un socle commun cognitivo-comportementaliste, associant informations sur la maladie et développement de compétences d’auto-soins (contrôle des symptômes et adaptation du mode de vie). Ils pourraient donc être qualifiés en France de « programmes d’éducation thérapeutique ». Un des modules permet la constitution d’une base de données, grâce à la saisie d’informations à raison de 5 minutes pendant 20 jours (auto-observation). Les données recueillies permettent de dresser un « profil », puis de proposer les « cibles » d’un programme personnalisé… La tablette étant le cadeau le plus offert en France au cours des fêtes de fin d’année 2012, les NTIC sont déjà entrées dans le quotidien des patients. Il ne reste plus qu’à en faire bon usage…






Référence
Friedberg F, Williams DA, Collinge W. Lifestyle-oriented non-pharmacological treatments for fibromyalgia: a clinical overview and applications with home-based technologies. J Pain Res 2012;5:425-35.

Note : le « Journal of Pain Research » fait partie des revues scientifiques de dernière génération, uniquement disponible sur internet. Tous les articles sont disponibles gratuitement en ligne. Les auteurs européens doivent payer 1372€ pour y publier un article, alors qu’une publication en revue « traditionnelle » est gratuite. Pour en savoir plus sur ce nouveau modèle économique des revues scientifiques, je conseille l’excellent blog du Dr Hervé Maisonneuve : « Rédaction Médicale et Scientifique »

samedi 16 février 2013

Toutes les douleurs chroniques sont-elles bonnes à stimuler ?

La neurostimulation transcutanée (NSTC, ou TENS en anglais) est une méthode non médicamenteuse qui peut être utilisée pour soulager la douleur chronique. En France, la NSTC est prise en charge par l’assurance maladie depuis l’an 2000, dans le cadre de douleurs neuropathiques (douleurs étant la conséquence directe d’une lésion ou d’une maladie du système somato-sensoriel). Il faut pour cela que le patient bénéficie d’une éducation thérapeutique au sein d’une structure d’étude et de traitement de la douleur chronique (voir article de mon blog), avec une période de location de 6 mois avant d’envisager l’achat du neurostimulateur [1].




La Haute Autorité de Santé a publié en septembre 2009 une « évaluation des appareils de neurostimulation électrique transcutanée ». Ce document de 38 pages [2] propose notamment de permettre la prescription à tout médecin ayant validé un Diplôme Universitaire de prise en charge de la douleur, et d’élargir l’indication de la NSTC à toutes les douleurs chroniques, y compris non neuropathiques. A ce jour, cet avis n’a pas été suivi d’effet puisque l’assurance maladie n’a pas modifié son attitude. Pour quelle raison ? Certainement du fait du coût potentiel d’un tel élargissement des indications, mais aussi à cause du manque de preuve d’efficacité…

Entre septembre 2006 et juin 2008, 21 centres français d’étude et de traitement de la douleur ont participé à une large étude récemment publiée [3], cherchant à évaluer l’efficacité de la NSTC dans la lombalgie chronique. Au total 236 patients ont bénéficié d’une NSTC soit réelle (stimulation continue à haute fréquence avec burst de basse fréquence) soit factice, à raison de 4 séances quotidiennes d’une heure. Seul résultat positif, la vraie NSTC permettait une diminution statistiquement significative de la douleur après 3 mois de traitement. Par contre, aucune différence n’était notée entre les 2 groupes en termes de répercussion fonctionnelle (critère principal de cette étude) ou de qualité de vie. Les auteurs concluent leur article de la façon suivante : « les résultats de cette étude ne permettent pas d’envisager l’utilisation de la NSTC chez les patients lombalgiques chroniques ».




En partie financée par les pouvoirs publics (Direction Générale de la Santé), cette étude ne va manifestement pas dans le sens des préconisations de la Haute Autorité de Santé. Mais à bien y regarder :
- les patients recrutés présentaient majoritairement (59%) une irradiation douloureuse dans un membre inférieur, ce qui va dans le sens d’une population hétérogène, mélangeant des douleurs lombaires et des douleurs radiculaires neuropathiques.
- le mode de stimulation utilisé (haute fréquence, dite « gate-control ») est plus spécifique de la douleur neuropathique ; quels auraient été les résultats avec une stimulation à basse fréquence ?
- Les capacités fonctionnelles du patient ont été choisies comme principal critère d’évaluation de l’efficacité de la NSTC. Or, il est bien évident que ces capacités ne dépendent pas uniquement du soulagement de la douleur, mais aussi de facteurs cognitifs et comportementaux, comme le catastrophisme ou la kinésiophobie (voir article de mon blog).
- cette étude va manifestement dans le sens d’une diminution de l’intensité douloureuse chez les patients présentant des douleurs neuropathiques radiculaires (soulagement supérieur chez cette catégorie de patients) : elle tend donc à confirmer la position actuelle de l’assurance maladie.

samedi 9 février 2013

rTMS et fibromyalgie : pas d’altération des fonctions cognitives

Dans un précédent post de ce blog, j’ai évoqué les résultats d’une étude française [1] sur l’efficacité de la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS) chez les patients porteurs d’un syndrome fibromyalgique. Un effet antalgique à court terme (1 mois) a pu être démontré chez certains patients. Mais quel est le profil des patients répondeurs ? Quels effets à long terme ? Ces questions encore posées, la recherche clinique pourra peut-être y répondre prochainement…



Mais pourquoi s’intéresser à la rTMS ? Avant tout parce que les solutions thérapeutiques utilisées en pratique courante pour soulager les douleurs de la fibromyalgie sont limitées, d’efficacité souvent modérée et très variables d’un individu à l’autre… Autre argument : les traitements médicamenteux sont rarement efficaces alors qu’ils sont très souvent à l’origine d’effets secondaires (voir article de mon blog). La rTMS semble avoir un meilleur profil de tolérance, comme le prouvent les nombreuses études réalisées dans le contexte des pathologies psychiatriques ; elle semble notamment ne pas engendrer d’altération des fonctions cognitives, problème fréquemment rencontré avec les médicaments ayant une action sur le système nerveux central (antalgiques, antidépresseurs, antiépileptiques).

A ce jour aucune étude n’avait encore permis de s’assurer de cette bonne tolérance chez des patients porteurs d’un syndrome douloureux chronique. C’est maintenant chose faite, les auteurs de l’étude citée plus haut [1] viennent de publier des résultats supplémentaires [2] dans une revue de recherche en psychiatrie. La conclusion est claire : il n’existe aucune altération cognitive après 11 séances de rTMS, aussi bien dans le groupe traité que dans le groupe placebo. Qui plus est, une légère amélioration de quelques paramètres a pu être observée dans le groupe traité par rapport au groupe placebo.




Ces résultats viennent renforcer l’idée du bon profil de tolérance de la rTMS chez des patients porteurs de douleurs chroniques. Reste maintenant à mieux cibler les patients potentiellement répondeurs : à suivre...

Références
1. Mhalla A, Baudic S, Ciampi de Andrade D, Gautron M, Perrot S, Jacobson Teixeira M, Attal N, Bouhassira D. Long-term maintenance of the analgesic effects of transcranial magnetic stimulation in fibromyalgia. Pain 2011;152:1478-85.
2. Baudic S, Attal N, Mhalla A, Ciampi de Andrade D, Perrot S, Bouhassira D. Journal of Psychiatric Research 2012, http://dx.doi.org/10.1016/j.jpsychires.2012.09.003

samedi 2 février 2013

Qi gong : un nouveau souffle contre la douleur ?

La revue Douleurs (éditions Elsevier-Masson) va publier dans son premier numéro de l’année 2013 une revue de la littérature sur le thème « Qi gong et douleur ». Cet article surprendra sûrement plus d’un lecteur, et ce pour 3 raisons :



1/ Combien de personnes savent ce qu’est réellement le Qi gong, et qui sait le prononcer correctement (« c’est quoi ton king kong » ai-je déjà entendu…) ? L’auteur explique qu’il s’agit d’une forme de soin, issue de la médecine traditionnelle chinoise, pratiquée depuis pas loin de 3000 ans. D’un point de vue sémantique, « QI gong » signifie « travail sur le souffle ». En pratique, mouvements lents et méditation sont au programme du Qi gong dit « interne » (réalisé par le patient lui-même, sans l’intervention nécessaire d’un thérapeute).

2/ Le Qi gong fait partie de la grande famille des approches psychocorporelles : elle nécessite l’implication active du patient et développe ainsi les capacités d’autogestion de la douleur (voir article de mon blog). Peu ou pas de contre-indication, praticable à tout âge, pas d’effets secondaires, faible coût : le Qi gong semble un complément intéressant à la médecine dite « conventionnelle » et conforme aux attentes d’un grand nombre de patients (voir article de mon blog).

3/ L’analyse de la littérature scientifique proposée est de bonne qualité. Pour autant, les résultats des études publiées restent encore inégaux, ce qui fait dire à l’auteur de cet article que le Qi gong a un « impact positif mais pas toujours significatif sur la douleur ». Comme souvent avec ce type d’approches, les travaux scientifiques sont de qualité insuffisante pour tirer des conclusions enthousiastes : des études sur le bénéfice-risque et le rapport coût-efficacité des différents traitements utilisés contre la douleur permettraient sûrement d’y voir plus clair.

Merci à Marie Beaumont pour cet article alliant culture générale et données actuelle de la science…