samedi 30 mars 2013

Syndrome douloureux régional complexe : la scintigraphie, pour quoi faire ?

Syndrome douloureux régional complexe de type 1 (SDRC1) : tel est le nom internationalement reconnu de ce qui s’appelait encore récemment en France l’algodystrophie (ou algoneurodystrophie, ou dystrophie sympathique réflexe…). Cette pathologie encore bien mal connue fait couler beaucoup d’encre, car sa prise en charge est loin d’être consensuelle ; de nombreuses études scientifiques ont pu être menées, apportant souvent des résultats contradictoires. Par exemple, la calcitonine est encore fréquemment utilisée, alors que l’agence du médicament préconise le contraire, du fait de l’absence de preuve d’efficacité suffisante…

Au cours des 20 dernières années, différentes définitions et différents critères diagnostics ont été proposés, notamment par l’Association Internationale pour l’Etude de la Douleur (IASP). Les experts de la question s’accordent manifestement sur un point : le diagnostic de SDRC1 repose sur des éléments purement cliniques, il ne nécessite aucun examen complémentaire.

Pourtant, une vieille habitude (aussi vieille que la calcitonine ?) perdure : prescrire une scintigraphie osseuse pour confirmer le diagnostic de SDRC1… Cette mode semble remonter aux années 1980, période depuis laquelle la popularité de la scintigraphie osseuse n’a fait que grandir. Les années passant, malgré le développement des critères de diagnostic purement cliniques, cette popularité tarde à retomber : mais est-elle vraiment méritée ?




L’European Journal of Pain publie un article consacré à cette question : les auteurs ont réalisé une méta-analyse à partir des 12 publications scientifiques les plus pertinentes sur la question. En ce centrant sur les patients pour lesquels le diagnostic de SDRC1 était certain, la sensibilité de la scintigraphie osseuse est de 80%, sa spécificité de 73%. Autrement dit, la scintigraphie n’est positive que pour 80% des SDRC ; une scintigraphie négative n’écarte le diagnostic de SDRC1 que dans 73% des cas.

Sur la base de cette méta-analyse de la littérature scientifique, la scintigraphie n’a aucune raison d’être utilisée pour confirmer le diagnostic de SDRC1 : elle n’apporte aucun élément supplémentaire aux données de l’examen clinique. Bienvenue au club des examens inutiles (voir article de mon blog)


samedi 23 mars 2013

Douleur de la fibromyalgie : la médecine thermale trouve sa fontaine de jouvence…

La revue Douleurs (Elsevier-Masson) publie un article intéressant intitulé « Éducation thérapeutique, fibromyalgie et thermalisme ». En effet, il présente l’évolution des pratiques des « Thermes des Arènes » (Dax) pour contribuer à une meilleure prise en charge de certaines douleurs chroniques, dont celles du syndrome fibromyalgique.




Évolution oui, mais comment ? Progressivement, l’équipe pluridisciplinaire de ce centre thermal s’est formée à l’éducation thérapeutique du patient (ETP) : un programme complet, structuré, adapté aux besoins du patient lors de consultations dédiées aux « bilans éducatifs » a pu être développé.

Évolution oui, mais pourquoi ? Avant tout parce que la durée de séjour habituelle (3 semaines) et la présence d’une équipe pluri-professionnelle sont propices à la mise en place d’un tel programme. Ainsi, l’ETP « représente une toute nouvelle approche de la médecine thermale, jusqu’ici cantonnée à la délivrance de soins d’hydrothérapie et d’applications de boue ».

Évolution oui, mais pour quels résultats ? L’objectif affiché « vivre mieux avec sa fibromyalgie en devenant un partenaire compétent sachant augmenter et adapter ses activités » fait basculer la médecine thermale vers une approche active et démédicalisée, tout à fait adaptée à la fibromyalgie. Sans rentrer dans les détails, les auteurs affirment, à la lecture des questionnaires remplis par les patients, constater une « très nette amélioration de la qualité de vie, (une) diminution des douleurs et (une) resocialisation globalement très largement supérieures à toutes thérapeutiques jusqu’ici proposées pour cette pathologie ».

Au total, la médecine thermale, « thérapeutique millénaire », est manifestement en capacité d’intégrer les nouvelles technologies de la santé : ainsi, elle entend confirmer auprès des payeurs sont intérêt, notamment pour la prise en charge de la fibromyalgie, encore peu codifiée… Cette perspective est prometteuse, l’évaluation chiffrée des bénéfices obtenus par les patients est la prochaine étape…




samedi 16 mars 2013

La douleur chronique post-chirurgicale est-elle digne d’intérêt?

La réponse est évidemment « oui ». Après un geste chirurgical, 10 à 50% des patients (selon le type de chirurgie) développent des douleurs chroniques. La majorité de ces douleurs sont neuropathiques, ce qui signifie qu’elles sont la conséquence directe d’une lésion du système nerveux. Pourtant, les auteurs américains d’un article paru dans la revue « Journal of Pain Research » posent le constat suivant : les douleurs chroniques post-chirurgicales (DCPC) n’intéressent pas la communauté médicale, et notamment les chirurgiens.






En effet, leur revue de la littérature parle d’elle-même :
  • Entre 1981 et 2010, seuls 9 éditoriaux de revues scientifiques indexées dans PUBMED ont été consacrés aux DCPC. Aucun n’était publié dans une revue chirurgicale ;
  • Entre 1991 et 2010, seuls 2 articles sur le sujet ont été publiés dans les 20 principales revues scientifiques de chirurgie ;
  • Entre 2001 et 2010, les articles traitant des douleurs aiguës post-opératoires étaient 7 fois plus nombreux que ceux consacrés aux DCPC ;
  • Au sein des 3 « textbooks » de référence sur la chirurgie, les DCPC représentent moins d’une demi-page sur les 2000 à 3000 pages de chaque ouvrage.

Mon constat est similaire puisque les articles de mon blog consacrés aux douleurs chroniques après chirurgie (voir article de mon blog) font partie de ceux qui sont les moins consultés (voir également cet autre article). Pourquoi un tel désintérêt ? Les auteurs de cet article émettent plusieurs hypothèses :
  • Les chirurgiens sont moins confrontés que les autres spécialités médicales à la douleur chronique (ils interviennent surtout en période aiguë) ;
  • Il reste difficile, pour tout soignant, d’accepter qu’un traitement puisse être à l’origine de complications iatrogènes, surtout s’il craint un procès. Le terme « post-chirurgical » est ainsi souvent mal vécu ;
  • Toute lésion neurologique per-chirurgicale ne provoque pas de DCPC et une DCPC peut survenir en l’absence de lésion d’un tronc nerveux…

Rien n’est simple, mais la lésion nerveuse per-chirurgicale mérite d’être prévenue, quand cela est possible, pour diminuer le risque de DCPC. La littérature scientifique démontre largement qu’un geste moins invasif en diminue la fréquence.

Autre donnée importante de cet article : le risque de DCPC devrait être systématiquement expliqué au patient avant tout geste chirurgical programmé, pour qu’il puisse prendre une décision réellement éclairée. Je rencontre fréquemment des patients qui me disent : « si j’avais su, je ne me serais pas fait opérer… ». Facile à dire après coup, me direz-vous, mais quelle aurait été leur décision s’ils avaient été prévenus des risques ?

Enfin, il faut le rappeler : tout geste chirurgical comporte des risques. Les DCPC ne sont pas liées à une faute du chirurgien, dont l’intention est d’apporter les meilleurs soins possibles, mais constituent un alea thérapeutique. C’est ce que j’explique chaque jour à mes patients (d’après cet article, 20% des patients consultant en structure d’étude et de traitement de la douleur chronique présentent des DCPC).



 
Référence

samedi 9 mars 2013

Mal au dos, mal au cou, mal dormi… mal du siècle ?

Les douleurs chroniques cervicales et/ou lombaires ont de nombreuses conséquences négatives sur la qualité de vie des patients. Parmi ces conséquences : les troubles du sommeil. Si la douleur en elle-même peut perturber la qualité du sommeil, l’inverse est également vrai, ce qui fait qu’il est souvent difficile de savoir qui est l’œuf et qui est la poule (voir article de mon blog)




Les auteurs allemands d’un article publié dans la revue « Journal of Pain Research » (revue en Open Access) se sont intéressés à la prévalence des troubles du sommeil chez 1016 patients présentant des cervicalgies et/ou des lombalgies chroniques ; ils ont également cherché à identifier des facteurs de risque. Voici les principaux résultats de cette étude rétrospective :
  • 42% des patients présentaient un trouble du sommeil malgré la prise d’un traitement antalgique ;
  • 20% estimaient dormir moins de 4h par nuit ;
  • Les troubles du sommeil étaient statistiquement plus fréquents lorsque l’intensité douloureuse était supérieure à 5/10, chez les patients opérés du rachis (failed back surgery syndrome, voir article de mon blog) et chez les patients immigrés ;
  • Aucune corrélation n’a pu être établie entre la qualité de sommeil et l’existence de lésions anatomiques (discopathie, canal lombaire étroit).

Les troubles du sommeil sont donc très fréquents en cas de douleurs rachidiennes chroniques : ils dépendent plus de facteurs individuels et psychosociaux (intensité de la douleur, antécédent de chirurgie, immigration) que de facteurs purement anatomiques (résultats des examens pratiqués, voir article de mon blog). Les auteurs concluent leur article en recommandant une approche multimodale de la douleur chronique, associant traitement antalgique, relaxation, approche cognitivo-comportementale (voir article de mon blog) et exercice physique : une proposition pleine de bon sens…




samedi 2 mars 2013

Prise en charge de la migraine : les nouvelles recommandations françaises

La migraine est une céphalée intense et récurrente qui toucherait environ 1 adulte sur 5, dont 3/4 de femmes. De nombreuses études scientifiques ont pu être réalisées pour en optimiser la prise en charge, aboutissant notamment à la sortie des triptans, famille de molécules ayant révolutionné le traitement de la crise migraineuse. 




Des recommandations de bonne pratique en langue française ont été publiées en 2002 [1] par l’ancêtre de la Haute Autorité de Santé (l’ANAES). Dix ans plus tard, la Société Française d’Etude des Migraines et des Céphalées (SFEMC) propose une version révisée de ces recommandations [2]. En voici ma lecture :

  1. En termes de traitement de crise, les auteurs préconisent la rédaction d’une ordonnance associant un AINS et un triptan, afin de permettre au patient de déterminer la famille la plus efficace. Si l’AINS est suffisant (soulagement de la crise dans les 2 heures après la prise), cette famille sera poursuivie. Dans le cas inverse, le triptan devra être utilisé le plus précocement possible.
  2. Pour ce qui est du traitement de fond, les différentes molécules recommandées sont classées en fonction de la qualité des études scientifiques réalisées. Cependant, les molécules les plus anciennes ont moins été étudiées, d’où un niveau de preuve plus faible. Aucun médicament n’ayant montré une supériorité d’efficacité, c’est la réflexion bénéfice-risque qui doit guider le choix du prescripteur. Les auteurs recommandent en première intention les bétabloquants (propanolol et métoprolol).
  3. La relaxation et les thérapies cognitives et comportementales sont également recommandées du fait d’un haut niveau de preuve d’efficacité. Juste citées par les auteurs comme « autres traitements », elles mériteraient à mon sens un peu plus d’égards (4 lignes contre 4 pages pour les traitements médicamenteux), car elles correspondent aux attentes d’un grand nombre de patients (voir article de mon blog).
  4. Les liens entre la migraine et la vie hormonale de la femme font l’objet d’un nouveau chapitre très instructif. Désir de grossesse, grossesse débutée, migraines menstruelles, contraception orale, ménopause : toutes ces périodes de la vie sont abordées pour fournir au lecteur des attitudes pratiques.
  5. Malheureusement, ces recommandations ne seront pas diffusées par la Haute Autorité de Santé (HAS). Les 5 auteurs de cet article présentent en effet entre 6 et 15 liens d’intérêt (11,6 en moyenne) avec l’industrie pharmaceutique, ce qui ne leur permet pas d’être retenus par la HAS comme experts indépendants, d’autant que de nombreuses recommandations reposent sur un « accord professionnel » (voir article de mon blog).
  6. Publiées dans une revue scientifique destinée aux neurologues, ces recommandations risquent de pâtir d’une diffusion limitée, alors qu’elles ciblent les médecins généralistes et spécialistes, ainsi que les pharmaciens d’officine…
  7. Une version synthétique serait la bienvenue, pour une meilleure applicabilité au quotidien (la lecture d’un document de 11 pages, sans les références bibliographiques, est fastidieuse).